Choisir le coloris des leurres
Les coloris imitatifs
Face à la complexité de tous les paramètres qui peuvent ou devraient être pris en compte pour choisir un coloris en fonction des spots et de la lumière, la tentation est grande de se rabattre sur des coloris "naturels", ceux qui tentent d'imiter l'aspect des proies supposées des poissons ciblés. Après tout, un gardon argenté avec un dos noir ou verdâtre est facilement imité avec un leurre argenté. Des coloris "perche" sont également disponibles pour de nombreux poissons-nageurs. Certains fabricants de leurres souples proposent aussi de vastes gammes de coloris très intéressants.
Les coloris naturels ou fortement imitatifs sont rassurants quand on manque d'inspiration au bord de l'eau. En effet, la reconnaissance des proies n'est pas innée chez les carnassiers, elle est le fruit d'un apprentissage. Il n'est pas évident qu'ils se ruent toujours sur des imitations grossières ou attaquent par agressivité quelque chose qu'ils ne reconnaissent pas. Pire encore, il se trouve que les prédateurs choisissent délibérément de s'attaquer à des types de proies bien précises à certains moments de l'année bien que d'autres soient toujours disponibles. Proposer un "générique" dans ces conditions fonctionne rarement.
Les indispensables
La tentation est grande d'accumuler de grandes quantités de leurres pour disposer d'un éventail de coloris varié. Toutefois, avec le recul, on se rend compte que ce sont toujours les mêmes coloris qui marquent, alors que d'autres sont nettement moins réguliers et sont surtout étudiés pour des conditions difficiles (conditions dans lesquelles il faudrait de la chance pour faire du poisson donc rares sont ceux qui se déplacent quand même...) ou rarement rencontrées. Plus on se déplace pour prospecter des spots différents, plus on doit faire face à de nouvelles conditions. Mais si l'on pêche toujours dans les mêmes rivières et les mêmes étangs, au moins la moitié des leurres que nous achetons est superflue.
Les basiques sont toujours les mêmes depuis des décennies et ne risquent pas de changer. On peut les réduire à un très petit nombre de coloris. Dans leur plus simple expression : du blanc et du jaune. Du blanc passe partout, et du jaune quand il y a moins de lumière. Ce sont les deux couleurs "primaires", aussi bien en leurre dur qu'en leurre souple.
Ces deux coloris de base peuvent chacun être déclinés en deux sous-coloris complémentaires. Argenté et doré pour le blanc, vert vif "granny" ou vert jaune "chartreuse" et orange pour le jaune, l'orange restant un second choix derrière les verts vifs.
L'argenté et le doré sont une alternative au blanc uni lorsqu'il y a beaucoup de lumière. Ce sont aussi les bases des coloris imitatifs des poissons nageurs, bien que le blanc en fasse également partie. Le doré se vera mieux de dessous par grand soleil que l'argenté, surtout dans peu d'eau, mais il se vera mieux aussi que l'argenté plus loin sous la surface lorsqu'il y a moins de lumière. C'est vraiment un coloris indispensable dans ce sens.
Le vert vif et le chartreuse sont aussi visibles que le jaune dans des eaux claires. Le jaune reste plus visible en profondeur ou lorsque l'eau est chargée de particules. Ces coloris fonctionnent très bien lorsqu'il y a de la lumière mais sont surtout utilisés pour pêcher un peu plus profond que le blanc ou lorsque le blanc ne donne rien.
Ces coloris de base sont de plus en plus souvent proposés avec une seconde couleur contrastant avec eux. Vert vif et jaune fonctionnent trés bien ensemble, orange et jaune également. Les blancs, dorés et argentés se voient le plus souvent attribuer un dos plus sombre, du noir par exemple, ou un vert foncé.
Couleurs complémentaires
Les coloris bigarrés proposés par les fabricants reposent sur une logique de contraste qui sont en fait des couleurs complémentaires. Sur un cercle chromatique, les couleurs complémentaires sont celles qui sont diamétralement opposées. Qu'importe sur si les perches et les brochets ne "voient" pas certaines couleurs, la complémentarité reste vraie et produit le contraste recherché (dos sombre, ventre clair).
Les couleurs complémentaires les plus souvent utilisées sont le rouge et le vert, le violet et le jaune, l'orange et le bleu. Mais les couleurs adjacentes fonctionnent aussi très bien grâce à la faculté des perches et des brochets à percevoir de nombreuses nuances de vert, de jaune et de rouge. Des couleurs qui nous semblent proches leur paraissent contrastées.
Que faire alors ? Jouer les contrastes les plus forts en profondeur et les plus subtiles près de la surface ? En théorie oui, pourvu que la luminosité soit suffisante. Toutefois ceci nous entraîne à nouveau vers la collectionnite aigüe... Inutile de s'encombrer de caisses de coloris dont on ne servira jamais ou rarement. Il est préférable de ne choisir que les coloris les plus adaptés à l'usage qu'on a prévu de faire de chaque leurre. Leurres de surface, couleurs de surface, leurres de fond, couleurs de fond.
Ne pas oublier non plus qu'au final, pour nos chers brochets et perches, certaines couleurs peuvent être remplacées par d'autres alors qu'elles seraient indispensables pour d'autres espèces.
Cachés tout au fond de nos sacs et boîtes de leurres se trouvent des poissons nageurs, des leurres souples et des cuillères qui n'ont jamais vu l'eau ou très peu. Achetés sur un coup de coeur ou lors d'un moment d'indécision, ils n'ont jamais pris de poisson et n'en prendront jamais si nous ne les utilisons pas. C'est le syndrôme des boîtes bien pleines, où chaque modèle de leurre se retrouve décliné dans une vaste gamme de coloris qui ont forcément séduit le pêcheur mais dont l'efficacité tarde à être prouvée.
Outre un penchant certain pour la collection d'objets dont l'esthétique peut être soignée, ces achats quasi-compulsifs peuvent être répétés dans l'optique de se tenir prêt à s'adapter à toute une série de conditions vraisemblables ou fantaisistes au bord de l'eau. Les fabricants l'ont bien compris, pour vendre plus de leurres il faut en multiplier les coloris. Cependant, la question qui fâche reste celle du bien-fondé d'une telle complexité. Les poissons sont-ils seulement sensibles à nos choix artistiques ?
La perception des couleurs
Brochets et perches chassent essentiellement à vue. Le brochet peut chasser dans l'obscurité mais la perche a besoin d'un minimum de lumière, même si ce minimum peut être très faible. Les deux espèces, comme la plupart des poissons, ont une très bonne vue de près ainsi qu'une vision périphérique, mais ne peuvent apprécier les distances que de face dans un angle réduit. La perception des couleurs varie énormément suivant les espèces de poissons, et le brochet ainsi que la perche ne perçoivent pas toutes les longueurs d'onde de la même façon que nous.
Ces deux carnassiers perçoivent particulièrement bien les longueurs d'onde moyennes situées dans les rouges et les orangés, avec un pic secondaire dans les verts et les jaunes. Ils ne sont pas sensibles au bleu ni au violet, bien que la perche puisse percevoir les ultra-violets proches (ce dont le brochet est incapable).
Une grande sensibilité aux rouges et aux verts signifie que ces poissons sont capables de différencier des tons extrêmement proches dans ces couleurs. Cette forte capacité de discrimination se révèle fort utile dans un environnement où la couleur de fond est justement un camaïeu de vert dans la plupart des cas. Percevoir clairement une vaste palette de rouges et d'oranges pour les différencier des bruns n'est pas sans intérêt non plus lorsque ces animaux se nourrissent sur le fond.
L'absence de sensibilité aux longueurs d'onde courtes ne signifie pas que la perche et le brochet ne voient pas les bleus et les violets. Ils perçoivent ces couleurs comme des teintes plus ou moins sombres qui tranchent elles aussi avec l'arrière-plan qui sera plus clair. Entendu trop souvent chez les détaillants d'articles de pêche : "le brochet adore le bleu". Non, le brochet n'adore pas le bleu car il ne le voit pas bleu. Mais il voit très bien un leurre en partie bleu car il contraste avec l'image de fond sous l'eau. De la même façon, le violet est comparable au noir, et ces poissons n'ont aucune difficulté à repérer une forme sombre quelles que soient les conditions de luminosité.
Détection par contraste
La première chose que perçoit le prédateur, et ce à quoi il est le plus sensible, c'est le mouvement. Outre le déplacement d'eau qui accompagne un leurre et les autres signaux qu'il peut émettre, c'est bien sa silhouette et le fait qu'elle se déplace qui amorce l'approche du poisson, ce sur quoi il se focalise.
Il faut garder à l'esprit que sous l'eau les poissons perçoivent les objets par contraste avec un écran d'arrière-plan assez flou, sombre ou lumineux (suivant qu'ils guettent la surface, inspectent le fond ou surveillent tout simplement leur environnement immédiat), et qu'ils n'ont une image précise de ce qu'ils voient que de face et à faible distance. Les couleurs sont en plus progressivement modifiées par la profondeur et leur visibilité est variable suivant la turbidité et la couleur de l'eau.
La plupart des coloris de leurres sont eux-mêmes des contrastes d'une couleur foncée sur le dos et d'une couleur plus claire sur le ventre. Ce contraste imite celui des poissons fourrage, même si les couleurs nous paraissent exotiques en surface. Avec une visibilité fortement réduite sous l'eau (par rapport à la surface) et une mauvaise vue à distance, les carnassiers se laissent assez facilement berner par ce motif contrasté qu'ils retrouvent chez leurs proies. Une fois le processus de poursuite et d'attaque enclenché ils n'auront une vision précise du leurre qu'au dernier moment, lorsqu'ils pourront s'en saisir.
Mimétisme ou contraste ?
Si les brochets et les perches ont besoin de bien voir un leurre pour s'y intéresser, il ne faut pas oublier que leur capacité à discerner différentes nunaces dans les verts, les jaunes et les oranges sont bien supérieures aux nôtres. Un leurre vert peut nous paraître un mauvais choix pour pêcher dans des herbiers ou des eaux vertes, mais les poissons, eux, n'auront absolument aucun mal à différencier la couleur du leurre de celle de leur environnement. De même, des paillettes rouges plutôt discrètes noyées dans la masse d'un leurre foncé seront très visibles pour un poisson qui aura le temps de venir l'inspecter.
Il y a en outre des coloris qui semblent plaire particulièrement aux poissons bien qu'ils n'imitent aucune des proies habituelles des carnassiers. C'est le cas du blanc/chartreuse et du vert/chartreuse par exemple, mais aussi du violet/chartreuse, de l'orange/jaune, du bleu/orange, du vert/orange, orange et noir ou de combinaisons encore plus complexes de ces couleurs. Dans tous les cas, et quelle que soit la façon dont les carnassiers perçoivent réellement ces coloris, il semble que ce soit toujours le contraste plus ou moins prononcé des différentes couleurs qui composent un coloris qui explique son succès.
Tout l'art de sélectionner un coloris revient à savoir choisir la bonne dose de contraste par rapport à l'environnement dans lequel évoluent les poissons. Quelque chose de trop voyant ne fonctionne pas toujours, mais parfois des couleurs qui nous semblent criardes et peu naturelles décident les prédateurs par simple réflexe alors qu'ils ne sont pas en chasse, tout simplement parce qu'elles se détachent bien de tout ce qui les entoure. Un leurre émettant une mutltitude de signaux n'a pas forcément besoin d'un coloris discret...
Version 1, Révision 1, 27 juillet 2012.